La Banque SURUGA a surfé sur le boom des locations meublées. Elle prêtait à de nombreux particuliers et aux petits investisseurs pour l’acquisition des maisons en échange de leur gestion et d’une garantie de rentrée régulière des loyers. La banque se vantait d’accorder les prêts en un temps très court avec un examen de dossier en moins de 5 jours ouvrés. Le scandale éclate en janvier 2018 lorsque les loyers promis n’étaient plus perçus par la banque faute de locataires. En parallèle le public découvre qu’elle faisait peu de cas sur la solvabilité des emprunteurs. En octobre 2018 le ministère des finances lui retire temporairement sa licence . La banque SURUGA est depuis sous la surveillance des autorités. Qu’est-ce qui a conduit à sa chute? La réponse est dans la méthode de management.
« Si tu n’atteints pas les objectifs, saute de l’immeuble ! », « crève », « je tuerai toute ta famille », telles sont les paroles relevées dans un rapport remis par une commission indépendante chargée d’enquêter sur le management de la banque SURUGA. On y trouve des phrases abominables qui décrivent l’intimidation au quotidien comme méthode de management pratiquée par la hiérarchie vis-à-vis des commerciaux. Le rapport cite plusieurs cas de menaces voire de violences physiques susceptibles d’être punis par la loi.
On peut notamment y lire un employé supplier : « je donnerai ma vie pour atteindre les objectifs », et son supérieur de lui crier « alors suicide-toi ».
La commission d’enquête a interrogé l’ensemble des commerciaux de la banque pour savoir si les objectifs exigés par l’entreprise leur paraissaient irréalisables. Près de 40% d’entre eux ont répondu positivement. Ce taux atteint 87% pour les commerciaux en charge des prêts immobiliers aux investissements locatifs, ce qui permet de déduire que près de 9 commerciaux sur 10 subissaient chroniquement des pressions anormalement lourdes. Le rapport laisse apparaître un milieu de travail malsain.
A la banque SURUGA, le service des prêts immobilier incriminé avait des objectifs de bénéfices 1.5 fois élevés comparés aux autres services. Le rapport pointe du doigt la méthode de Stretch Goal imposée par la direction et ses ravages sur les salariés.
Il est tout à fait normal qu’une banque cotée à la bourse garantisse la rentabilité vis-à-vis des actionnaires et de ce fait fixe des objectifs ambitieux pour remplir ses obligations. Mais lorsqu’elle fait une fixation acharnée sur des objectifs trop ambitieux voire inatteignables, l’ambiance au travail se dégrade vite. Le rapport cite le témoignage d’un employé qui résume bien la situation : « c’est comme si on me demandait d’aller pêcher 10 poissons dans un étang qui n’en contient pas autant ». Il cite aussi le cas d’un commercial à qui on exigea de signer tous les mois pour 100 millions JPY de contrats de prêts immobiliers sans hypothèque à un taux d’intérêt de plus de 7%. Un objectif totalement fantaisiste.
Cette politique de chiffre et son corollaire, le harcèlement, avaient fini par provoquer un dysfonctionnement sérieux au mécanisme de contrôle interne. Le service de contrôle des prêts avait ainsi validé 99% des prêts sans vérifier la capacité de remboursement des emprunteurs et ferma les yeux à cette pratique jusqu’à ce que le « service de contrôle perdit lui-même son indépendance » note le rapport.
Le pire est que le service de contrôle des prêts était conscient des risques qu’il faisait encourir à la banque en validant sans même vérifier les justificatifs fournis par les emprunteurs. La question est de savoir pourquoi personne n’a pu empêcher cette folle course aux offres de prêts.
La clé de la réponse est détenue par ASO Haruo un ancien commercial de terrain devenu membre du conseil d’administration. Celui-ci s’était immiscé dans les ressources humaines du service de contrôle des prêts. Il fit pression pour remplacer 13 employés sur 14 que comptait le service, tous par des anciens commerciaux de terrain comme lui. Cela avait pour but d’influencer les décisions rendues par le service de contrôle qui n’avait que de nom pour justifier son existence. En mai 2014, ASO selon son souhait, a fait approuver le remplacement d’un des directeurs du service.
Au final, le service de contrôle approuvait toutes les demandes de prêts pourvu qu’elles contenaient les justificatifs exigés sans vérifier leur authenticité ni leur véracité. En plus d’un examen purement formel des dossiers, le service était contraint de céder aux demandes pressées de validation des prêts de la part de certains commerciaux qui brandissaient le nom d’ASO comme un passe-droit. Personne n’a pu arrêter l’attribution des prêts frauduleux, une faute lourde en soi, et qui avait gangréné toute la banque lorsqu’il fut trop tard.
L’environnement qui entoure les banques ne cesse de dégrader à cause des taux d’intérêt historiquement bas et de la diminution de la population. La banque SURUGA n’est pas la seule à prendre le risque de recourir aux offres frauduleuses de prêts dans une optique de priorité absolue à à la course aux bénéfices. Toutefois après avoir trahi notre confiance elle est aujourd’hui loin de ce qu’on attend d’une banque. Un responsable du ministère de la finance met en garde l’ensemble des acteurs économique en les appelant à tirer une leçon de ce cas malheureux :« les patrons et les autorités ne doivent pas perdre de vue les difficultés inhérentes aux affaires pour faire des bénéfices de « façon saine » au risque de prendre des mauvaises décisions ».
(Source NIKKEI 11/09/2018 苛烈なノルマ・パワハラ横⾏ 現場の暴⾛⽌まらず)