L’affaire GHOSN vue par un expert- comptable du Japon

M.Yuji HOSONO , expert-comptable aux réputations sulfureuses analyse l’affaire Carlos GHOSN du point de vue des règles comptables japonaises.

Les médias ne cessent d’insister ces jours-ci  sur la cupidité de l’ex-patron de Nissan et son arrestation spectaculaire à l’aéroport de Tokyo.

Arrêtons-nous un instant pour examiner chaque élément de cette affaire.

Les faits reprochés sont :

  1. Sur cinq années fiscales, de mars 2011 à mars 2015, la rémunération de Carlos GHOSN aurait été de 9 milliards 998 millions JPY (env. 78 109 000 EUR) en tant que patron de Nissan. Or il n’avait déclaré que la moitié soit 4 milliards 987 millions JPY (env 38 960 000 EUR) à l’administration fiscale japonaise. Le parquet de Tokyo lui reproche de ne pas avoir mentionné une partie de ses revenus dans l’état financier de l’entreprise* (au Japon有価証券報告書 yuka shoken hokokusho) durant cinq ans, ce qui est considéré comme une violation de la loi sur les transactions de produits financiers (金融商品取引法違反 kinyu shohin torihikiho ihan) .
  • GHOSN aurait dû déclarer près de 4 milliards JPY (env 31 000 000 EUR) de revenu supplémentaire perçu sous forme de produits similaires au stock option (Stock Apreciation Rights) , système  qu’il a lui-même mis en place dès juin 2003. Le montant n’apparait pas sur l’état financier.
  • Par le biais de la filiale hollandaise de Nissan, GHOSN aurait été rémunéré entre 100 et 150 millions JPY (entre 780 000 et 1 200 000 EUR), montants qui ne figurent pas non plus sur le bilan.
  • GHOSN aurait fait acquérir à la filiale hollandaise, un appartement à Rio de Janeiro d’un montant de 500 millions JPY (env  3 907 000 EUR) et d’une villa luxueuse à Beirut pour son usage personnel. Les frais de rénovation, d’entretient et ceux engagés pour leur acquisition avaient été entièrement réglés par cette filiale. Le total des frais s’élèverait à 2 milliards JPY (env 15 625 000 EUR).
  • Les filiales de Nissan auraient mis à disposition exclusif  de GHOSN des appartements de standing achetés ou loués  à Paris et à Amsterdam comme avantages en nature. Or s’agissant d’un usage personnel le patron est soupçonné de n’avoir pas payé une partie des loyers.

Sur la forme de cette affaire.

Il convient de dissocier, les accusations de fausse déclaration de revenus et le soupçon sur les avantages en nature indûment perçus. Car les deux éléments n’ont aucun lien entre eux.

Tout d’abord, pour qu’un oubli de déclaration d’un avantage en nature puisse constituer un délit de fausse déclaration, il faut remplir deux conditions :

  1. Les avantages en natures cités et tels que définis par les règles comptables doivent apparaître dans l’état financier (comme preuve de délit). Ce qui n’est pas le cas.
  2. Carlos GHOSN devait être conscient des risques encourus  en cas d’information manquante dans les éléments exigés par la loi au moment où il faisait rédiger le rapport.

Selon la loi japonaise il n’y a délit de fausse déclaration que si l’auteur l’avait commise de façon  intentionnelle. Il faudra le prouver pour Carlos GHOSN.

Les règles d’appréciation des montants déclarés.

Dans cette affaire, les médias relayent jour et nuit le point de vue du  procureur qui  tente de démontrer que le patron de Nissan percevait des rémunérations indécentes et touchait des avantages disproportionnés même pour un dirigeant d’une entreprise de cette taille-là. En somme  Carlos GHOSN aurait fait subir des pertes à Nissan.

Il convient de voir de près les méthodes de calcul des montants qui doivent figurer dans l’état financier, lui-même constitué entre autre du bilan et du compte de résultat.

Par le passé dans l’affaire de la faillite de la banque Nisseki (The Nippon Credit Bank) qui avait dissimulé ses pertes durant de nombreuses années et qui avait fait sensation auprès de l’opinion public, le tribunal a souligné dans son avis annexé au jugement du  17 décembre 2009 que seules les règles comptables peuvent déterminer s’il y a eu ou non une erreur dans les montants qui figurent sur le bilan.

Dans cette logique les méthodes de calcul du montant des revenus consolidés des dirigeants déclarés aux autorités ne font que respecter  les règles comptables appliquées au bilan, qui elles-mêmes suivent le règlement du gouvernement relatif à la déclaration d’activité des entreprises (企業内容等の開示に関する内閣府令).

Concrètement, les règles comptables japonaises ne peuvent pas comptabiliser  l’achat des appartements de luxe à l’étranger comme une perte pour Nissan, encore moins comme une rémunération de son patron car Nissan n’a fait qu’acquérir des biens immobiliers . Nissan n’a pas perdu un sou dans cette affaire.

Sur le soupçon d’avoir dissimulé les revenus perçus par la filiale hollandaise Nissan International Holdings BV, il est à noter que celle-ci est indépendante de la maison mère. Par conséquent les revenus supposés ne peuvent pas être intégrés dans le montant des revenus consolidés des dirigeants de la maison mère Nissan. Le règlement du gouvernement japonais relatif à la déclaration d’activité des entreprises ne considère pas les salaires perçus par les filiales dont le bilan n’est pas consolidé avec le siège comme  salaire de dirigeant de celui-ci.

Enfin sur la dissimulation supposée de 4milliards JPY (env. 31 000 000 EUR)  gagnés grâce sur Stock Apreciation Rights (SAR) il ne faut pas oublier que contrairement aux stock option,  les gains constitués par la différence de valorisation des titres entre le moment d’achat et le moment de vente sont versés en liquide. Ces versements  sont forcément enregistrés en frais chez Nissan comme dans toutes les autres entreprises selon le principe de comptabilité en partie double. A l’époque des faits, au regard des règles fiscales japonaises ces versements en espèce ne pouvaient pas être comptabilisés comme des pertes.  Il est donc fort probable que la comptabilité de Nissan les a enregistrés en frais de mission-réception auquel cas il a bien fallu les intégrer  dans les revenus du patron de Nissan et les déclarer comme tels. On ne sait pas si Carlos GHOSN connaissait cette subtilité ou quelqu’un aurait pris la peine de la lui expliquer. Mais au fond les montants incriminés ne se retrouvent pas dans la case des salaires mais dans celle des frais, ce n’est donc juste qu’une question de nomenclature.

L’ingratitude des Japonais

Le bureau spécial d’investigation du parquet de Tokyo semble se mêler d’ une affaire de lutte interne chez Nissan alors que l’entreprise était au bord de la faillite avec  près de 2000 milliards JPY (15. 625 milliards EUR) de dettes en 1999.

Sa situation s’est redressée grâce à la nomination de Carlos GHOSN et l’injection de 643 milliards JPY (5.24 milliards EUR) de capitaux de RENAULT.  Aujourd’hui Nissan est valorisée à près de 4200 milliards  JPY (32 . 812 millliards EUR). Sans le travail de Carlos GHOSN, Nissan aurait fait faillite depuis longtemps. A l’étranger, il est courant qu’on rémunère les dirigeants de ce niveau à hauteur de 5% de la valorisation de l’entreprise après une opération de fusion-acquisition.

Carlos GHOSN est donc théoriquement en droit de toucher 210 milliards JPY (1 milliard 641 millions EUR) soit 5% de la valorisation actuelle de l’entreprise mais les médias japonaises sont scandalisés pour quelques milliards qu’il aurait dissimulés. Depuis quand les Japonais sont-ils devenus si ingrats ?

 https://gendai.ismedia.jp/articles/-/58626   25/11/2018 (article original 「カルロス・ゴーン氏は無実だ」ある会計人の重大指摘)

*Il s’agit d’un ensemble de rapports de gestion que toutes les entreprises cotées à la bourse doivent remettre obligatoirement au ministère de la finance via l’administration fiscale dans les trois mois qui suivent la clôture du bilan.

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