Le marché japonais du show-biz doit se mettre à jour

M. Kenji KITATANI est un personnage clé dans l’industrie nippone du spectacle.  Il est un promoteur de spectacle célèbre pour avoir cassé le code informel des affaires propre à ce milieu fermé en organisant le premier concert des Rolling Stones en 1990 à Tokyo. Visionnaire et révolutionnaire dans sa méthode marketing, et rompu aux méthodes américaines de promotion, il est actuellement membre du conseil d’administration des chantres du show-biz japonais tels que le stade Tokyo Dome, SONY ou la société de production AVEX TRAX. Il enseigne depuis 2010, la stratégie des contenus numériques du show-biz dans le troisième cycle de l’université industrielle de Kanazawa (école supérieure Toranomon).   

Il fait le point sur l’industrie du spectacle au Japon. Le constat est sévère.

Propos recueillis par NIKKEI.

Manque de négociateurs professionnels

En 2010, AVEX TRAX m’avait proposé le poste de directeur de leur filiale spécialisée dans le développement à l’international. Ce que j’ai accepté. Il s’agissait en réalité de m’occuper de leurs activités lourdement déficitaires en Chine où les contenus japonais étaient régulièrement censurés voire bloqués par les autorités en pleine crise diplomatique avec le Japon sur la question de la souveraineté de l’île de Daoyu revendiquée par les deux pays.  J’ai jugé qu’il n’était plus possible d’essayer de conquérir le marché chinois et déménagé le siège de la société de Hong Kong à Singapour. Il a fallu en même temps vendre le studio de tournage de Hawaii dont AVEX était propriétaire pour réduire la voilure.

Après ma retraite j’ai été promu au rang de conseiller dans le conseil d’administration d’AVEX. Ce qui ne m’empêche pas de travailler également comme représentant pour l’Asie du géant américain du divertissement sportif et musical, Anschutz Entertaiment Group (AEG).

En regardant les différences culturelles avec les autres pays, je me suis toujours demandé pourquoi les Japonais sont les seuls à payer des sommes astronomiques lorsqu’ils essayent d’exporter leurs contenus ou leurs spectacles à l’étranger. La raison est qu’il n’y a pas de négociateurs japonais professionnels capables de négocier et argumenter correctement avec leurs interlocuteurs.

J’ai donc décidé d’enseigner le management de l’industrie du spectacle à l’université de Kanazawa.

Surestimation du marché domestique et la résistance au changement

Le Japon est comme l’île de Galapagos. Il y a beaucoup de choses sur ce marché qui ont évolué seules, hors de toute forme d’influence extérieure. Ici les tendances du marché du show-biz ont entre 6 et 7 ans de retard par rapport au reste du monde.

Par exemple, la diffusion des musiques en streaming peine encore à s’imposer sur le marché car les Japonais achètent encore les CD.  Les labels ont toujours recours à des techniques de marketing à l’ancienne car ils pensent encore que la vente des CD couplée avec des séances de poignées de mains des idols dans les boutiques est la méthode la plus efficace en termes de marketing.  Au Japon, il n’est pas rare que la mise en ligne de nouveaux titres soit retardée exprès au profit du lancement des CD.

C’est tout le contraire de ce qu’il se passe dans les pays en pointe dans cette industrie comme les Etats-Unis où la musique est diffusée gratuitement sur internet par les artistes, la musique y devenue un simple support de communication pour inciter les fans à assister aux concerts. En même temps, nos voisins Chinois et Coréens forment des professionnels en management de show-biz.

Il faudrait que le marché nippon rattrape ce retard de façon à pouvoir nouer des partenariats équilibrés avec ces pays-là. Or il existe encore beaucoup de personnes réticentes à tout changement.

Le gouvernement japonais,quant à lui, soutient la promotion des Anime (manga et dessins animés) et des événements destinés à une minorité d’otaku (de façon large, les fans de la culture pop japonaise à l’étranger) avec l’argent des contribuables.  En réalité, au nom du slogan marketing pour l’exportation « COOL JAPAN », le gouvernement est en train de gaspiller de l’argent pour un minuscule marché. Il est évident pour tout le monde que ce n’est pas une affaire rentable.

Enfin, en raison des piètres performances des chanteurs et de vedettes actuelles qui se contentent de chanter sur du play-back aux voix transformées et d’imiter les chorégraphies des artistes étrangers, il est clair que les Japonais ne pourront pas devenir leader mondial du marché. Il faut qu’ils cessent de croire qu’ils pourront gagner de l’argent grâce seulement aux demandes du marché domestique.

  (Source NIKKEI 06/07/2018  取り残される日本に危機感 大学院でエンタメ人材育成)

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