Dans un pays où le respect des règles fait partie intégrante de l’identité nationale, le lancement des services de locations meublées a provoqué des remous auprès d’ une large frange de la population. Les plaintes déposées par les riverains contre les propriétaires et les gestionnaires des biens n’ont cessé d’augmenter à cause des touristes étrangers de passage, peu au fait des règlements de copropriétés ou des arrêtés municipaux pour certains services (règle de tri des déchets par exemple).
Le gouvernement japonais, soucieux de rassurer à la fois le marché des locations meublées créateur de richesses d’une part, et de se prémunir contre toute critique de concurrence déloyale émanant de l’industrie d’hébergements traditionnels (hôtels et ryokans) d’autre part, a fini par mettre en place un dispositif législatif peu stimulant pour l’économie.
La location meublée, une activité strictement encadrée
Dès son apparition, le meublé de tourisme fut la cible du gouvernement qui ne reconnait que quatre types d’hébergement selon la loi en vigueur: les hôtels, les auberges traditionnelles (les ryokans), les établissements hébergements temporaires (y compris les centre d’hébergement d’urgence) , et les chambres louées au mois chez l’habitant.
Afin de réglementer l’activité des locations meublées et le développement anarchique des offres, dès 2017, les autorités ont imposé aux propriétaires le cahier des charges propre aux hôteliers ou aux aubergistes accueillant du public. Ainsi en déclarant hors la loi de nombreuses offres non conformes à la location en termes de sécurité et d’hygiène (16% des 41600 offres identifiées fin septembre 2018 sur différents sites de réservation) , le gouvernement ABE a mis en place de façon expérimentale, cinq zones spéciales qui dérogent à la loi et où les particuliers sont libres de louer leurs biens aux touristes de passage. Ces cinq zones sont : l’arrondissement de Otaku (Tokyo) , une partie de la préfecture d’Osaka, la vile d’Osaka, de Kita Kyushu et de Nigata.
Dans un second temps et pour étendre le contrôle des autorités hors des zones désignées, la « loi sur l’activité de meublés touristiques chez les particuliers » (Jutaku shukuhaku jigyo ho 住宅宿泊事業法) fut promulguée en juin 2018. Avec cette loi, tout propriétaire d’un bien qui sera loué sur le marché de la location temporaire doit demander la délivrance d’une autorisation spéciale sous forme de licence.
Or si les conditions élémentaires de location semblent similaires à celles déjà en cours dans la plupart des grandes capitales étrangères (la location est limitée à 180 jours par an) , le système mis en place est aujourd’hui synonyme de lourdeur administrative qui dissuade l’ensemble des acteurs de la filière à se lancer: le propriétaire en premier lieu, les gestionnaires des appartements et les intermédiaires que sont les plateformes de réservation. Pire encore, l’impopularité du dispositif émane plus de l’interférence de différents organes de l’Etat aux missions similaires et qui se chevauchent les unes sur les autres.
En premier lieu, le propriétaire d’un appartement doit obligatoirement passer un contrat de gestion avec un prestataire gestionnaire des biens s’il n’habite pas dans l’appartement loué. Or le premier doit demander une licence d’exploitation et de s’enregistrer auprès du gouverneur local (ou de la commune todofuken chiji 都道府県知事) dont dépend son bien avant de pouvoir le louer, tandis que le second doit obtenir une licence auprès du ministère du territoire et du transport (kokudo kotsu sho 国土交通省) pour opérer。 Enfin, les propriétaires qui louent via une plateforme (Air BnB entre autre) , doit veiller à ce que celle-ci détient une licence délivrée par le ministère du tourisme (kanko cho 観光庁). Les autorités impliquées échangent les informations et travaillent à les recouper pour détecter d’éventuelles fraudes.
Un marché peu lucratif, une rentabilité menacée
Depuis l’entrée en vigueur de la loi, les autorités ont enregistré 17301 nouvelles demandes de licences. Avec les 7800 licences délivrées dans les cinq zones spéciales, le Japon compte au total 27101 propriétaires autorisés à opérer sur le marché des locations meublées. Ce chiffre est très en dessous des résultats espérés puisque les 49 000 établissements hôteliers (y compris des ryokans, les auberges traditionnelles) du pays ne suffisent plus à répondre aux demandes des touristes.
L’opinion publique et les investisseurs soutiennent l’idée que le pays, ne se donne pas les moyens de ses ambitions, celles de faire du Japon l’une des destinations les plus attractives au monde.
Des propriétaires de plusieurs appartements se sont vus refuser la délivrance de licence faute de répondre au cahier des charges. En effet, la loi les oblige à mettre en place un système de permanence où un gardien doit pouvoir intervenir en moins de 10 minutes jour et nuit en cas d’urgence. De plus, la location étant limitée à 180 jours par an, il devient alors difficile d’affirmer l’activité soit rentable à long terme. Par conséquent, certains n’hésitent pas à cesser leur activité pour la transformer en hôtel classique. 982 cessations d’activités ont été enregistrées en un an, et 37.6% d’entre elles concernent la conversion de l’activité en hôtellerie traditionnelle. C’est surtout vrai dans les mégapoles comme Tokyo et Osaka où le prix de l’immobilier est déjà très élevé.
Enfin, le gouverneur des municipalités habilités à délivrer les licences dispose de toute latitude pour fixer leurs propres règles, comme celle d’exiger une quantité considérable de pièces complémentaires en plus des documents réglementaires. Pire encore, cette pratique diffère d’une commune à l’autre. De façon générale, plus les habitants du lieu sont réticents à l’accueil des touristes étrangers, plus les règles peuvent être dissuasives vis-à-vis des propriétaires désireux de se lancer dans le meublé touristique. Le professeur M.Toru HIGASHI de l’université RIKKYO de conclure : « il y a un décalage flagrant entre le gouvernement qui parie sur l’économie de partage et les municipalités soucieuses de préserver la tranquillité du voisinage ».
NIKKEI 14/06/2019 (Sources 【民泊新法1年、営業上限180日の壁 旅館業転換も】【自治体は民泊への理解深めよ】【民泊がなぜ低調か】)
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