Difficilement traduisible en français, le hikikomori peut être interprété comme une forme de phobie sociale dont souffrent un certain nombre d’hommes et de femmes japonaises vivant reclus dans leur chambre et refusant tout contact avec le monde extérieur.
Le phénomène est apparu dans les années 1990 auprès des adolescents se sentant mal dans leur peau. Les hikikomori vivent chez leurs parents qui subviennent à leurs besoins. Aujourd’hui les adolescents ne sont pas les seuls à s’isoler. Les jeunes adultes déçus par la vie active ou d’autres encore plus âgés ayant eu des problèmes relationnels sont venus grossir le rang des hikikomori.
Les municipalités sont contraintes de prendre ce phénomène au sérieux en raison de l’ampleur du phénomène avec quelques 613 000 cas de hikikomoris chez les 40-64 ans (dont 70 % d’hommes), selon une estimation des statistiques gouvernementales. De plus, aujourd’hui leurs parents ont en moyenne quatre-vingts ans, et perdent progressivement leur autonomie ce qui provoquent de sérieuses conséquences vis-à-vis de leurs enfants qui vivent encore à leurs crochets.
Un drame à Yokohama
Un homme de quarante-neuf ans, au chômage et vivant au domicile de sa mère, a été arrêté par la police en novembre 2018 soupçonné d’avoir laissé mourir sa mère âgée de soixante-seize ans puis avoir laissé son corps à l’abandon. Il reconnait avoir entendu sa mère gémir de douleur depuis sa chambre « mais sa voix s’était éteinte. Je n’ai rien pu faire ». L’homme vivait grâce aux seuls revenus de celle-ci. Il avait enroulé le corps dans une couverture et le laissa sur le sol de la cuisine. Durant l’interrogatoire où il témoigna exclusivement par écrit, il affirme avoir voulu laisser sa sœur s’occuper du corps inanimé de sa mère car il ne se sentait pas être en mesure de communiquer avec des inconnus.
Une réalité difficilement avouable
Dans le milieu des aides à la personne, on remarque de plus de plus de cas des parents octogénaires qui subviennent aux besoins de leurs enfants eux-mêmes quinquagénaires qui n’ont jamais quitté le foyer familial. Or ce n’est qu’au moment où la santé des parents décline sérieusement voire à leur mort, que les employés des services sociaux découvrent la présence de leurs enfants à charge.
Une enquête menée en 2018 par le professeur M.Jun KAWAKITA de l’université de l’éducation d’AICHI auprès des services régionaux d’aide à la personne, près de 83.7% des organismes d’aide ont répondu avoir traité des cas de parents âgés qui continuaient à entretenir leurs enfants eux-mêmes bien avancé dans l’âge.
Un service d’aide à la personne de l’est du Japon qui a reçu en consultation un vieil homme venu demander de l’aide pour sa femme qui souffrait de perte de mémoires, avait découvert par hasard lors d’une visite à domicile, la présence de leur fils d’une quarantaine d’année qui n’avait jamais travaillé et qui vivait sous leur toit. Leur fils ayant des problèmes psychiatriques vivait reclus dans sa chambre. Il n’en était jamais sorti pendant cinq ans jusqu’au jour où il fût contraint de donner un coup de main aux infirmiers venus soigner sa mère.
Selon le professeur KAWAKITA, ces hommes et ces femmes atteints de hikikomori sont victimes du chômage de masse qui avait frappé le Japon à la fin des années 1990. Découragés par la vie, bon nombre d’entre eux avaient décidé de rester chez leurs parents qui n’ont aujourd’hui que leurs pensions de retraite comme seuls revenus. Les parents qui entretiennent les enfants hikikomori n’osent pas en parler par peur du regard des autres et s’isolent de plus en plus.
Certains services municipaux qui soutiennent l’insertion sociale des jeunes ont relevé l’âge des personnes aidées. C’est le cas de la municipalité de Tokyo qui jusque là limitait leur aide aux jeunes adultes de 15-34 ans. A partir de 2019, elle intervient auprès de tous les adultes en difficultés sans limite d’âge et a transféré les compétences du bureau de la jeunesse à celui de l’assistance sociale générale. C’est aussi le cas de la ville de Kyoto qui a mis en place un centre d’aide aux hikikomoris. Dans un projet ambitieux appelé « soutien à la planification du futur », elle donne des conseils individualisés aux parents sur les perspectives d’avenir de leurs enfants sur le plan financier, après leurs décès. Signes que les autorités ne considèrent plus les problèmes de hikikomoris comme un fléau marginal mais comme un vrai problème de société.
(source NIKKEI 15/04/019 【8050】問題深刻化 ひきこもる50代、80代の親が困窮)