La firme PIONNER a soumis au vote la prise de participation offerte par le fonds d’investissement Baring Private Equity Asia lors de l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires qui s’est tenue le 25 janvier. L’enjeu est de taille car si elle est adoptée, PIONNER l’ancien géant d’électronique vieux de quatre vingts ans d’existence confirmera le retrait de la bourse de Tokyo. En difficulté depuis des années et trop sûre de sa philosophie « rebelle », la firme n’a pas pu se rendre compte à temps des effets néfastes de sa posture sur le marché de l’électronique.
Le pionnier des matériels de sonorisation et de l’électronique Made in Japan
L’histoire de la marque commence dans les années trente lorsque que son fondateur, M. Nozomu MATSUMOTO découvre les enceintes électriques lors d’un voyage aux Etats-Unis. Profondément ému par la qualité sonore des « Dynamic Speaker » (enceintes dynamiques) américains, il rentre au Japon avec la ferme intention de fabriquer un jour le premier appareil équivalent Made In Japan. Son rêve se réalise en 1937 avec la mise au point d’une première enceinte de fabrication entièrement japonaise. En 1938, est fondée l’ancêtre de la société actuelle « Fukuin Shokai Denki Seisakujo » (littéralement, « l’atelier de fabrication des appareils électriques de la société des voix de l’évangile », comme pour illustrer sa mission civilisatrice). Plus tard le nom d’un des modèles fabriqués sera définitivement adopté comme nom de la société.
Les réussites s’enchaînent rapidement avec les ventes à succès des enceintes de toute taille et des tourne-disques durant la période d’après-guerre. Dans une époque plus récente les systèmes audios embarqués dans les automobiles et les écrans plasma ont hissé la marque au rang des géants mondiaux de l’électronique grand public. En un peu plus de soixante ans PIONEER est devenu une des marques emblématiques de la qualité Made in Japan.
Concurrencé par les technologies numériques, le chiffre d’affaires de PIONEER chute à partir du milieu des années deux milles. Aujourd’hui son chiffre d’affaires annuel se situe autour de 400 milliards JPY (env 3.2 milliards EUR) alors que quinze ans plus tôt, la barre symbolique des 1000 milliards JPY (env 8 milliards EUR) était tout juste à sa portée. Le PDG actuel M.Koichi MORITANI espère faire perdurer la marque dans le domaine des solutions de cartographies numériques même après son retrait de la bourse de Tokyo.
Les innovations qui avaient conquis le marché domestique et mondial
Lorsque dans les années soixante et soixante-dix PIONEER développe le premier HIFI aux enceintes séparées (gauche/droite) destiné aux particuliers, toute l’attention du monde fut braquée sur la marque. En effet, le HIFI familial reproduisait un son de qualité jusque-là accessible seulement dans les lieux publics comme les cafés. Une innovation historique qui déclencha le boum mondial du système audio grand public et la démocratisation de l’écoute musicale. Plus tard le public se souviendra de l’apparition des « vinyles qui produisent de l’image » communément appelé Laser Disc, une autre invention de la marque des années quatre vingts et quatre vingt dix. Les salles de karaoké en acquirent en masse pour projeter les clips vidéo accompagnant la musique. Les particuliers en achetèrent aussi pour visionner les films en qualité haute définition. Enfin, le début des années deux milles marqua l’apogée de la marque nippone avec ses télévisions à écran plasma. PIONEER a dominé la quasi-totalité du marché nippon dans ce domaine. Même si la taille de l’entreprise fut modeste comparée aux deux géants rivaux de l’électronique de l’époque que sont PANASONIC et HITACHI, elle fut un temps partie du « trio incontesté des écrans plasma Made in Japan ».
L’entreprise prise de court par l’évolution rapide du marché mondial
Si la force de PIONEER était sa capacité à innover en un temps très court, sa faiblesse était incontestablement son manque d’anticipation de l’évolution du marché.
La société doit sa croissance aux réussites de ses appareils HIFI grand public. Pour autant, elle n’a pu proposer aucun appareil portatif de lecteur de musique à l’instar des baladeurs. Quant au Laser Disc principalement conçus pour les salles de karaoké, celles-ci les ont délaissés au profit des appareils intelligents qui réceptionnent les données dématérialisées. Enfin les écrans plasma ont été supplantés par les écrans à cristaux liquides bon marché et moins onéreux au niveau du coût de la production.
GPS, un échec cuisant
Dans les années quatre-vingt-dix PIONEER se lance dans la fabrication des GPS embarqués à travers sa marque Carrozzeria. Son modèle AVIC-1 était le premier au monde capable d’indiquer en temps réel le positionnement de l’utilisateur. Or le fabricant se lance, en partenariat avec les marques de voitures HONDA et TOYOTA, dans la production des modèles entièrement encastrés dans le tableau de bord dans une époque où le monde entier commence à prendre le virage numérique.
Aux Etats-Unis, le public est resté indifférent aux fonctionnalités hautement sophistiquées des GPS de chez PIONEER. Le fonctionnement de ces derniers était complexe car taillé sur mesure au réseau routier japonais particulier et dense. Le GPS japonais n’a jamais eu de succès espérés auprès des automobilistes américains. A partir de 2010, GOOGLE et son service de cartographies fait une entrée fracassante sur le marché des solutions de géolocalisation et a définitivement mis la marque japonaise en échec.
Aujourd’hui nombreux sont ceux chez PIONEER qui admettent que l’excès de fierté dans son propre savoir-faire technologique avait empêché d’anticiper de façon lucide la révolution numérique en cours dans le monde. A la fin des années quatre-vingt-dix, la firme PHILIPS avait proposé un partenariat mais « la discussion a vite pris fin avec les homologues japonais fiers de leur marque et qui s’obstinaient à défendre leur indépendance », se remémore un cadre d’une banque d’affaire.
Equiper les voitures autonomes du futur
Le marché japonais des GPS embarqués fut longtemps dominé par quatre grands du secteur que sont PIONEER, JVC KENWOOD, ALPINE et CLARION. La valeur de ces quatre entreprises réunies n’atteint plus qu’un septième de leur valeur à leur apogée. A l’exception de JVC KENWOOD tous cesseront d’être côtés à la bourse de Tokyo si ce n’est déjà fait.
ALPINE s’est retiré de la bourse le 26 décembre 2018 après une fusion avec une entreprise repreneur. C’est le cas aussi de CLARION qui est devenue une filiale de l’équipementier français FAURECIA.
M. Shane PREDEEK, CEO de Baring Private Equity Asia qui intégrera PIONEER dans son portefeuille d’activité prochainement, espère redonner de la croissance à la marque nippone dans le domaine des équipements de voitures autonomes : « La marque nippone possède encore un savoir-faire technologique fort dans le domaine des capteurs de véhicules qui seront indispensables pour équiper les voitures autonomes de demain».
(Source NIKKEI 25/01/2019 パイオニア上場廃⽌へ 「とんがり」続けた代償)