Le crépuscule des centres commerciaux

Le déclin des centres commerciaux continue. D’un côté la profusion de nouveaux acteurs de distribution a saturé le marché, de l’autre, le nombre de locataires qui assuraient une rentrée régulière de loyers aux propriétaires des centres commerciaux a chuté. Même ceux situés à proximité des grandes gares pourtant fréquentées sont en voie de fermeture.

A l’ère des commerces en ligne, les centres commerciaux ne sont plus synonymes du chantre de la consommation. Dans un marché où la croissance a atteint ses limites, les grands groupes tels que AEON sont contraints de changer de stratégie en proposant des expériences nouvelles aux consommateurs plutôt que de proposer des biens en tout genre.

La croissance des centres commerciaux a longtemps été assurée par la location des espaces aux commerces de détail et à la restauration. Ainsi, contrairement aux supermarchés généralistes qui proposent des produits alimentaires et des biens de consommations courants sous leurs propres enseignes, les centres commerciaux assurent ses revenus dans l’activité immobilière qui est son métier principal.

 Selon l’association des centres commerciaux japonais, le pays compte 3217 centres commerciaux fin 2017 qui représentent un chiffre d’affaire total de près de 32 mille milliards JPY (environ 250 milliards EUR).

Les plus grands sont détenus entre autre par les groupes immobiliers comme AEON MALL du groupe AEON co.,ltd ou MITSUI ESTATE co.,ltd propriétaire des centres LALAPORT, et les autres par des entreprises régionales de taille moyenne.

Fermeture malgré une croissance de la population

L’exemple du centre commercial CREO de la ville de Tsukuba illustre bien les difficultés actuelles du secteur.  Il a ouvert ses portes 30 ans plus tôt à côté d’une gare desservie par des trains rapides, le Tsukuba Express (EX). La porte d’entrée est aujourd’hui scellée car le centre a définitivement arrêté d’opérer en janvier.

Les principales enseignes locataires comme les distributeurs SOGO, SEIBU ou le supermarché alimentaire Aeon avaient tour à tour quitté le centre.

La ville de Tsukuba compte 23000 habitants et les indicateurs du marché étaient loin d’être mauvais avec un taux de croissance de la population de 16% entre 2007 et 2017. En fait, le centre commercial n’a pas survécu à la concurrence des centres commerciaux en périphérie de la ville et des commerces en lignes.  Une femme au foyer de 35 ans affirme : « sa fermeture ne m’affecte pas du tout car j’ai pris l’habitude de faire mes courses en voitures dans les grands centres commerciaux loin d’ici ».

 La municipalité compte acquérir CREO le 28 septembre auprès du propriétaire actuel, une entreprise mixte privée/public pour en faire un nouveau grand magasin qui accueillera un centre éducatif pour la science. Un habitant de la ville affirme avec ironie que « la municipalité ne peut pas laisser un espace aussi stratégie que la gare se vider de ses commerces par peur de donner une mauvaise image de la ville». 

CREO n’est pas un cas isolé. La fermeture des centres situés dans des emplacements à tout point de vue irréprochables, se répand partout au Japon comme celle de COLETTE à Kitakyushu et de JOYFULL TOWN à Okayama.

Affectés par la crise du secteur de l’habillement

Les statistiques prouvent paradoxalement que les centres commerciaux tendent à augmenter. En 2017, le Japon a compté 48 nouvelles ouvertures nouvelles et en 2018, 21 autres devraient ouvrir avant septembre. En apparence le secteur semble prospère surtout pour les grands groupes comme Aeon. Toutefois, à regarder de plus près, on voit des anomalies : le nombre des enseignes locataires a chuté brutalement.

Selon l’étude de l’entreprise Rizhome fabricant des logiciels de gestion pour les grandes surfaces basée à Okayama, il existe en mars 2018, 138 579 locataires dans des centres commerciaux de plus de 1500 mètres carrez dans tout le Japon ce qui représente une perte de 9200 commerces soit une diminution de 6% par rapport à 2017.

Parmi les commerces en diminution, les boutiques de vêtements et les boutiques de décoration représentent près de la moitié des retraits soit 4200 locataires. Il est à noter que l’essor de la mode bon marché comme la marque de prêt à porter ZARA, a précipité le départ des enseignes d’habillement traditionnelles. Enfin le manque d’attrait des centres commerciaux a causé le départ de nombreux restaurants, ce qui accentue encore plus le cercle vicieux de la désertification de ces centres.

Ainsi sur une période de neufs mois consécutifs entre octobre 2017 et juin 2018, le chiffre des départs des locataires a été supérieur à celui de l’arrivée des nouveaux locataires.

D’autres raison comme le manque de main d’œuvre, sont à l’origine des départs des locataires des centres commerciaux. M. IIJIMA Kaoru , directeur de R.B.K (centre de recherches de la distribution) témoigne qu’ « il existe de nombreuses enseignes qui sont contraintes de fermer les boutiques  pour manque de personnel».

Le résultat est loin des images traditionnelles des grandes surfaces lorsqu’on regarde de près l’exemple de celui de la gare de Kuki à la préfecture de Saitama. Dans cet immeuble de 6 étages, le commerce traditionnel comme le supermarché du rez-de-chaussée ne représente qu’une infime partie. Le reste des surfaces est loué aux divers prestataires de services comme les salles de sports ou les centres de soutiens scolaires. Les étages supérieurs prévoient d’accueillir des bureaux. Néanmoins l’immeuble peine à remplir ses espaces vides.

Vers un modèle expérientiel

Alors que la concurrence est déjà rude sur le secteur des grands magasins où la survie des uns et des autres est en jeux, la situation est empirée par la montée en puissance des commerces en ligne.

Sur le site du géant des commerces en ligne comme Amazon.com les offres sont déjà riches et variées, allant des vêtements à l’alimentation en passant par les électroménagers et les produits de consommations courants.  Chaque année celui-ci augmente sa part de marché grâce au système d’achats groupés.  En 2017 le marché japonais du commerce en ligne pèse déjà plus de 16 mille milliards JPY (env 125 milliard EUR) de chiffre d’affaire, ce qui menace de détrôner les centres commerciaux pour s’imposer en tant que leader de la distribution de demain.

 Les majors des enseignes de grands magasins commencent à contre-attaquer avec un modèle expérientiel de consommation.

Le centre commercial, The Outlet Hiroshima, géré par la Aeon Mall co.,ltd.  doté d’un parc d’attraction est le premier à expérimenter le centre commercial de la prochaine génération. Il a comptabilisé 3,43 millions de visiteurs en quatre mois seulement après l’ouverture en avril 2018. Le PDG, M. YOSHIDA Akio exprime ses inquiétudes : « si à court terme le déclin des centres commerciaux est inéluctable, alors il ne sera plus possible de survivre sans un avantage concurrentiel incontestable ».

Ouvert en septembre 2018 dans un quartier en rénovation de Nagoya ,  le centre commercial Lalaport Aqulus détenu par MITSUI REAL ESTATE co.ltd, est le premier à allier commerce de distribution et équipement sportif pour se positionner en tant qu’infrastructure à part entière du quartier d’accueil.

Aux Etats-Unis un quart des centre commerciaux menacés de fermeture dans les cinq prochaines années

Aux Etats -Unis où l’effet Amazon a le plus impacté les habitudes de consommations, le déclin des centres commerciaux a commencé plus tôt. Comme ici, le manque de locataires a précipité les fermetures des Shopping Mall situés en périphérie des villes. Récemment, le dépôt de bilan de la célèbre enseigne célèbres Toys ‘r us autrefois dotées d’un réseau étendu de distribution a fait sensation. Le Credit Suisse dans son rapport sur le marché des centre commerciaux, prévoit une possible fermeture de près de 25% des établissements dans les 5 prochaines années.

 Au Japon le pouvoir public a commencé à réglementer l’ouverture des nouveaux centres commerciaux en province dans le souci de préserver les commerces de proximités. Toutefois les municipalités locales ont par la suite tenté de favoriser leur implantation dans les zones industrielles laissées en friche dans le but de créer de nouveaux emplois. C’est la raison pour laquelle jusqu’aujourd’hui et malgré un environnement défavorable, les promoteurs ont investi dans ce secteur.

L’avenir des centres commerciaux dépend donc de la capacité à redéfinir leur rôle en créant de nouvelles valeurs et conquérir de nouveaux clients au risque devenir victimes d’un marché déjà saturé.

(Source NIKKEI  04/10/2018   ショッピングセンター、淘汰の時代へ 駅前でも閉鎖)