Affaire GHOSN : ce qu’elle révèle sur le niveau de rémunération des directeurs exécutifs nippons

L’opinion publique japonaise critique de plus en plus les rémunérations prétendument élevées des grands patrons nippons.  Or lorsqu’on les compare avec celles des CEO des grandes entreprises internationales, elles ne représentent que seulement 10% des rémunérations de leurs homologues américains, et très en-dessous des standards internationaux. C’est la raison pour laquelle l’affaire Carlos GHOSN fait scandale et laisse apparaître une image d’un patron prêt à tout pour s’enrichir personnellement quitte à trahir l’entreprise qui l’emploie. Le faible niveau de rémunération des CEO japonais peut par ailleurs, faire courir le risque aux entreprises nippones de perdre la course à la chasse aux talents sur le marché mondial de l’emploi. 

Si on veut toutefois rémunérer les patrons à « juste hauteur » comme le réclament bon nombre de Japonais, il faudra alors rendre le processus de décision plus transparent.

Un décalage avec les salaires des grandes entreprises occidentales

Selon les informations accessibles, le salaire annuel de 2017  versé à Carlos GHOSN par l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, s’élevait à près de 1.9 milliards JPY (env 14.84 millions EUR).  La part payée par Nissan a été de 735 millions JPY (env 5.74 millions EUR) ce qui représente près de 40% du total des rémunérations perçues en tant que membre du conseil d’administration de l’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi qui étaient de 1.857 milliards JPY (env 14.5 millions EUR).  En raison du doute qui subsiste sur la véracité des montants déclarés, on peut supposer que le montant réel soit bien supérieur.

Par ailleurs, le soupçon pèse sur l’achat des maisons personnelles au frais de Nissan au Brésil et au Liban, ou sur un contrat de conseil de pure forme avec une société gérée par sa propre sœur pour la rémunérer avec l’argent de Nissan également.

Toutefois, le salaire de Carlos GHOSN n’est pas plus élevé que celui des grands patrons occidentaux, loin de là.

A titre d’exemple, en 2017, le CEO du fabricant mondial de semi-conducteur Broadcom gagnait 11.7 milliards JPY (env 91.4 millions EUR) et celui de la chaîne de télévision CBS, 7.9 milliards JPY (env 61.7 millions EUR) . Le CEO du site internet de voyage Trip Advisor gagne quant à lui 5.4 milliards JPY (env 42.1 millions EUR) . Dans l’industrie automobile les patrons de General Motors et Ford Motors ont respectivement gagné 2.5 milliards JPY (env 19.5 millions EUR) et 1.9 milliards JPY (env 14.8 millions EUR).  En France les salaires des patrons de CAC40 comme Sanofi ou L’Oréal sont très au-dessus de celui de Gohsn avec 1.2 milliards JPY (env 9.4 millions EUR), dans un pays pourtant nettement moins libéral que les Etats-Unis ou le Japon.

Selon une étude de la compagnie de réassurance Willis Towers Watson, en 2017 les rémunérations moyennes des patrons américain étaient de 1.4 milliards JPY (env 10.94 millions EUR) contre 150 millions JPY (env 1.17 millions EUR) pour leurs homologues japonais. Ce qui classe le Japon en dernier parmi les principaux pays industriels.

Tableau comparatif des rémunérations des CEO des principaux pays développés réalisant plus de 1000 milliards JPY  (7.8 milliards EUR)  de chiffre d’affaires (*):

Etats-Unis : 1.4 milliards JPY (10.94 millions EUR)

Royaume-Uni : 600 millions JPY (4.69 millions EUR)

Allemagne : 720 millions JPY (5.62 millions EUR)

France : 530 millions JPY (4.14 millions EUR)

Japon : 150 millions JPY (1.17 millions EUR)

(* les montants tiennent compte des incentives de long terme comme les indemnités de départ en cas de rupture de contrat) .

Un système de déclaration qui tient compte de la spécificité japonaise

Les Japonais ont longtemps considéré leur société comme celle d’une classe moyenne de masse (一億総中流社会, ichioku so churyu shakai , littéralement « une classe moyenne de 100 millions d’habitants »)  et c’est la raison pour laquelle de nombreux dirigeants du conseil d’administration refusent les salaires trop éloignés de la moyenne.  L’état financier exigé par l’administration fiscale aux entreprises cotées à la bourse oblige celles-ci à publier les noms des dirigeants percevant un salaire annuel supérieur à 100 millions JPY (env 781 000 EUR) .  De ce fait il n’est pas rare que de nombreux patrons préfèrent toucher un salaire à la limite du seuil d’anonymat, et les déclarer à hauteur de 99.9 millions JPY (env  773 400 EUR) pour se protéger des éventuelles critiques.  Ainsi la moyenne des salaires des dirigeants tend à stagner.

Il est à noter aussi que le total des salaires des dirigeants des grandes entreprises cotées à la bourse a augmenté de 31 % en 2017 comparée à 2010, avec un montant total de 880 milliards JPY (env 6.85 milliards EUR) mais la part qu’elle représente dans les bénéfices nets a diminué en passant de 4% à 1.95%. Signe que l’évolution des salaires des patrons n’est pas proportionnelle à la croissance des entreprises.

Absence des règles de rémunération et opacité dans le processus d’évaluation

Y a-t-il une corrélation entre les rémunérations des CEO et la performance des entreprises qui les emploient? A l’aide des données disponibles fournies par le cabinet de recherche Tokyo Shoko Research (TSR), il est possible d’essayer de répondre à cette question en comparant les montant des rémunérations des patrons et l’évolution de la valorisation de l’entreprise durant une année donnée. Ainsi en 2017 sur 100 grandes entreprises cotées, pour près de 20% d’entre elles les rémunérations sont restées à un niveau bas tandis que leur valorisation sur le marché a progressé. Au contraire les sociétés pour qui les rémunérations des dirigeants sont restées hautes alors que la valorisation de ces sociétés sur le marché a diminué, ont été aussi nombreuses avec 20%.

En 2017 Nissan avait déclaré, selon les informations disponibles, 270 millions JPY (env 2.11 millions EUR) à titre de salaires de ses dirigeants. Ce chiffre est supérieur à la moyenne des salaires des dirigeants des grandes entreprises alors que la valorisation de Nissan pour la même année n’avait progressé que de 3%.  Sachant que le salaire de Carlos GHOSN a été minoré sur la déclaration, il est certain qu’il était élevé malgré une faible performance de l’entreprise selon notre calcul.

Par ailleurs, il y a un autre problème au Japon, celui de l’opacité dans le processus de validation du salaire des dirigeants. La règle est comme ailleurs, il revient à l’assemblé générale des actionnaires de voter pour valider celui-ci. Or il n’y a pas de règles claires dans les détails de ce qui constitue le salaire lui-même.

Aux Etats-Unis en revanche, les entreprises ont l’obligation de mettre en place un comité mixte composé de cadres et de spécialistes internes et externes pour déterminer les rémunérations de chacun des dirigeants selon des critères objectifs. Au Japon la mise en place d’un tel comité n’est pas obligatoire, seules 26% des entreprises cotées en bourses en possèdent dont Hitachi, et Bridgestone pour ne citer que les plus célèbres.  Nissan n’en fait pas partie.

Selon le professeur de M.Kunio ITO professeur spécialiste en commerce de l’université Hitotsubashi,  un système  transparent des rémunérations est « en soi une source de compétitivité » . Il souligne l’importance pour le Japon de changer la mentalité pour que les décisionnaires qui prennent part aux négociations salariales puissent donner leur accord en fonction des barèmes clairs. Il est important in fine de  relever le niveau des salaires et de les rapprocher  à celui des entreprises occidentales afin de rendre le Japon plus attrayant aux yeux des étrangers.

(Source NIKKEI 07/12/2018 役員報酬、きしむ⽇本流 「ゴーン問題」で注目)

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